A DIM 05 - "Passez-moi le sel"
Quand j’étais au
séminaire, il y avait un séminariste qui avait un régime alimentaire où il
devait manger sans sel, le pauvre. Et à chaque fois qu'on passait à table c'est
toujours le même refrain qui revenait : « c'est pas bon, c'est pas
bon, c'est pas bon ! » Alors le frère, dès qu’il voyait que l’attention
n'était plus là, il essayait de récupérer la salière ; et là on était
vigilant pour éviter qu’il l’attrape, en sorte qu'il puisse respecter son
régime alimentaire.
…Il paraît aussi, on m’a
dit qu’il y avait un restaurant je ne sais plus où, qui appartenait à un
couple : Monsieur Lanotte et Madame Salée. Vous voyez ce que cela donne
comme enseigne ?
Tout ça par rapport à la
parole « vous êtes le sel de la terre ». Le sel c'est donc ce qui
donne du goût à la vie, c'est ce qui donne du goût aux aliments, à ce que nous
mangeons ; mais le sel c'est aussi autre chose : Le sel, ça signifie
la richesse, la valeur. Et peut-être, pour comprendre ce sens du mot de sel, il
faut se replacer au temps de Jésus pour bien prendre conscience de l'importance
de ce minéral.
Au temps de Jésus, pourquoi le sel était-il capital ? Je pourrais me tourner vers vous, chère assemblée : Dites-moi, pourquoi le sel était-il très important au temps de Jésus et coûtait très cher ? Est-ce qu'il y avait des réfrigérateurs à l'époque de Jésus ? Ben non ; donc le sel était utilisé pour la conservation des aliments, et donc on se rend bien compte que c'était stratégique notamment pour les autorités romaines pour faire en sorte que les armées romaines qui allaient faire des kilomètres, des centaines, des milliers de kilomètres, puissent continuer à être alimentés normalement, ce qui fait que les routes du sel était vraiment des routes très protégées par les Romains.
Et de fait, cette importance du sel, elle s'est poursuivie dans l'histoire au point que durant tout le Moyen-Âge jusqu'au début des Temps Modernes, il y a eu un impôt sur le sel. Savez-vous comment s'appelait l'impôt sur le sel ? "La gabelle". Il y a peu de gens qui le savent encore. La gabelle était donc un impôt sur le sel qui a été abrogé à la Révolution française; c'est-à-dire que, là encore, le sel était considéré comme un bien stratégique.
Dans un autre continent,
un pays où il y a eu aussi une taxation très forte sur le sel, il y a une belle
figure que vous vous rappelez peut-être : C'est un homme qui s'est levé
contre les autorités britanniques et qui a lancé une grande ‘marche du sel’ en
signe de protestation, et au terme de cette grande marche qui allait jusqu’à la
mer, il s'est baissé et il a ramassé du sel, pour dire que son peuple
refuserait désormais de payer l'impôt sur le sel. Alors, c’est qui ? C'est
Gandhi : vous le saviez, magnifique !
Alors, pour finir avec l'importance
du sel, il y a un mot que vous connaissez tous, enfin, ceux qui ne sont pas
encore pensionnés, parce qu’il va dans votre poche chaque mois. C’est
quoi ? Eh bien, c’est le ‘salaire’. Alors, vous savez d’où vient ce mot,
si on regarde un peu l’étymologie : eh bien, ça vient du latin « salarium » ;
et ça veut dire quoi, le ‘salarium’ ? Et bien c'était la somme donnée aux
militaires romains pour pouvoir acheter leur ration de sel.
Donc voilà, quand Jésus
nous dit : « Vous êtes le sel de la terre », il nous dit quoi ?
: il nous dit cette valeur, cette richesse qui est la nôtre ; et
je crois qu'il faut se redire ça souvent : vous êtes précieux !
Nous sommes précieux ! La vie est précieuse ! Parce qu'aujourd'hui,
le sel c'est devenu quelque chose de très pauvre ; on ne mesure pas la
force de la parole du Christ quand on ne la replace pas dans son contexte. Le
sel, c'est la signification de la richesse de la vie humaine, indépendamment même
de ce que nous en faisons.
Eh bien, la vie -surtout
quand on la partage- a cette force, cette richesse ; et je crois que ces
jours-ci nous en avons eu un magnifique exemple au travers des témoignages que
nous avons entendus dimanche dernier lors de la Messe des Familles. Mais il
y a également bien d’autres exemples qui montrent que nous sommes tous le sel
de la terre. Souvent, on a l’impression que notre vie, elle n’a de valeur
que ce que nous en faisons. Le problème, c’est que il y a dans notre
existence des moments où nous ne pouvons plus rien faire. Parce que nous sommes
trop âgés, parce que nous sommes handicapés, déprimés…
Je pense que vous regardez quelquefois le Télévie. Il y a des figures d’enfant que je voudrais vous rappeler, et que vous n’avez certainement pas oubliés : Thibaut, 11 ans, décédé en 2014. Matteo, 6 ans - en 2013. Et une figure iconique, le petit Bichon, décédé il y a plus de 20 ans mais que personne n’a oublié, il a participé pendant des années au Télévie en démontrant un courage incroyable. Plus proche, Jacob, 9 ans, parti vers le Père l’an dernier (2022)… et encore bien d’autres. Leur point commun : une existence très brève de quelques années, mais en même temps une existence extraordinaire, riche de sens, riche d'amour donné et reçu.
Et c'est vraiment pour moi le message extraordinaire que nous laissent ces enfants : ils n'ont pas vécu longtemps au yeux du monde, ils n'ont pas fait grand-chose et pourtant, leur vie, c'est une vie chargée d'amour, une vie extraordinaire, une vie qui a permis à beaucoup, beaucoup de croyants, de non-croyants de se mobiliser, de se porter ensemble. C'erst une vie qui a été lumineuse, une vie pleine de générosité et de coeur, pleine de lumière...
« Vous êtes la lumière du monde ! » J’ai dû hélas célébrer les funérailles de plusieurs enfants ou bébés au cours de ma vie. Et aussi de petits frères et sœurs trisomiques, de vieilles aïeules qui n’avaient plus aucune force… Et bien, je puis vous dire que chacun de ces petits, de ces personnes dépendantes et impuissantes était vraiment la lumière du monde, et il ou elle continue à être la lumière du monde là où il-elle se trouve.
« Vous
êtes le sel de la terre, vous êtes la lumière du monde » vient nous redire cela dans une société qui
est une société marchande, une société qui dit que celui qui a une valeur c'est
celui qui produit de la valeur et des biens. Quand on est à l’école dans le
supérieur, c'est ce qu'on apprend – surtout si vous faites HEC ; mais
c’est aussi ce que nous dit le monde : on est là pour créer pour produire…
et voilà. Et quand on ne peut plus produire de valeur, on vous jette. Et bien
le Christ vient nous redire que nous avons malgré tout une valeur inestimable :
« vous êtes le sel de la terre ! ».
Je l'ai dit en évoquant mon ami séminariste d’autrefois, le sel, c'est quelque chose qui donne du goût, mais je crois qu’il y a aussi là-derrière une autre idée que veut nous partager le Seigneur aujourd'hui : C'est que notre foi qui nous rassemble aujourd'hui, c'est aussi ce qui vient donner du sel -du sens à l'existence humaine.
J’aime bien la définition de la foi selon un frère théologien :
“La foi, une raison de plus d’être en joie. Être chrétien n’est pas nécessaire, ça n’apporte rien de plus, mais ça donne une raison de plus de se réjouir d’être. L’Église pourrait être comme un sourire qui aide des jeunes et des moins jeunes à se réjouir d’être, à s’apprécier d’être humain et de pouvoir encore le devenir.”
Le sel n'a pas d'intérêt en lui-même : à la cuiller, c'est immangeable ! La lumière n'existe pas non plus pour elle-même, elle existe simplement pour mettre les objets qu'elle rencontre en valeur. N'est-ce pas la mission de l'Eglise aujourd'hui ? Révéler tout ce qu'il y a de bon dans le coeur de tout homme et lui faire découvrir sa valeur, sa dignité incomparable.
Voilà l'acte de foi auquel nous entraîne l'Evangile de ce jour. Croire que nous sommes, ensemble et chacun, lumière dans et pour le monde, sel pour rehausser le goût à la vie de tout homme, si nous voulons bien reconnaître le don de Dieu en nous et le partager. Que nous soyons jeunes ou âgés, malades ou en bonne santé, handicapés ou valides, savants ou sans diplômes, riches ou pauvres, TOUS, nous portons sel et lumière en nous.
Et si nous trouvons que notre lumière vacille beaucoup, si nous nous sentons plus luciole que lumière, gardons dans la tête et dans le coeur le message si vrai d'Isaïe repris dans ce chant :
« Si tu dénoues les liens de servitude,
si tu libères ton frère enchaîné,
La
nuit de ton chemin sera lumière de midi !
Alors, de tes mains, pourra naître une source,
la source qui fait vivre la terre de
demain,
La
source qui fait vivre la terre de Dieu. »
La messe, elle commence
après l’envoi : « Allez dans la paix du Christ ! » Et ne gardez pas votre lumière pour
vous-mêmes, elle s’éteindrait et le sel s’affadirait ! Amen.
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