CROIX PEINEUSE, CROIX GLORIEUSE
Pas faciles,
les textes de ce dimanche: quel charabia ! Ces histoires de serpents brûlants
ou de bronze, de genoux qui fléchissent jusqu’aux enfers, de croix et de
jugement… Avouez qu’on se sent un peu dépassé ! C’est tellement loin de notre
culture… 
Mais bon,
j’espère que vous aurez au moins retenu au passage cette phrase tellement
merveilleuse : “Car Dieu a tellement aimé le monde, qu’il a donné son Fils
unique”. C’est une des perles, un diamant de l’évangile de Jean ! “Dieu a
tellement aimé ce monde…”
Mais comment
pouvons-nous savoir que Dieu aime ce monde, et donc qu’il nous aime puisque
nous en faisons partie ? C’est tout l’objet des lectures d’aujourd’hui, et plus
largement de cette fête de la Croix glorieuse. 
La Croix
glorieuse : en littérature, on dirait que c’est un oxymore : une expression qui
dit à la fois une chose et son contraire. Comment un instrument de torture
pourrait-il être glorieux, puisque a priori il n’a été inventé que pour
susciter l’horreur et la honte ? Car les condamnés à ce supplice n’avaient plus
le statut d’humains, ils étaient au ban de l’humanité, juste devenus des
objets. L’imagination et la cruauté des hommes n’a pas de limites quand il
s’agit de torturer leurs semblables… 
Donc, la
croix: un instrument de honte, de dégoût. Comment est-elle devenue pour les
chrétiens qui la portent souvent comme un bijou, un symbole “glorieux”, l’image
d’un Dieu d’amour ? Imaginerait-on aujourd’hui des gens se promener avec une
chaise électrique en pendentif, ou une guillotine en sautoir ?
Evidemment,
entre la crucifixion de Jésus et l’époque où on a commencé à vénérer la croix,
il y a eu entretemps la Résurrection. La Résurrection, c’est le cœur de la foi
chrétienne. Elle a aussi ses symboles ; bien sûr, c’est un peu compliqué de
porter un tombeau vide autour du cou, même en miniature… Mais si, finalement,
c’est la croix qui s’est imposée comme symbole principal du christianisme, il y
a bien une raison. Et c'est dans les textes d’aujourd’hui qu’il faut la
chercher.
En effet, ce
qui est frappant, c’est que Jésus emploie dans son discours cette image du
“serpent de bronze”, très connue pour ses contemporains, mais pas pour nous.
Donc, je vous invite à un petit voyage dans le temps, assez loin en
arrière.  
Cela se
passe dans le désert du Sinaï pendant l'exode à la suite de Moïse ; les Hébreux
sont assaillis par des serpents venimeux et comme ils n'ont pas la conscience
très tranquille parce qu'une fois de plus ils ont récriminé comme dit souvent
le livre de l'Exode, ils sont convaincus que les serpents sont une punition du
Dieu de Moïse et donc ils vont supplier Moïse intercéder pour eux en disant :
Nous avons péché en critiquant le Seigneur et en te critiquant, intercède
auprès du Seigneur pour qu'il éloigne de nous les serpents. Et alors le texte
raconte que Moïse parle à Dieu et que le Seigneur lui dit : Fais-toi dans du
bronze un serpent brûlant c'est-à-dire venimeux, fixe-le à une hampe, et
quiconque aura été mordu et regardera le serpent aura la vie sauve. Alors Moïse
fit cela, et à partir de ce moment chaque Hébreu qui avait été piqué et
regardait le serpent de bronze conservait la vie. 
A première
vue, nous sommes en pleine magie ; ça nous rappelle peut-être des pratiques qui
ont existé autrefois dans nos Ardennes - et qui parfois subsistent encore,
comme ces arbres mystérieux dits “à clous” dans lesquels on plantait un clou
qui représentait une maladie, un mal dont on voulait être délivré en le
transférant sur l’arbre… 
Il s’agirait
à première vue de superstition, mais en fait c'est juste le contraire, je
m'explique : La coutume d'adorer un dieu ou des esprits guérisseurs existait
bien avant Moïse ;  ces divinités étaient représentées par divers objets.
Comme Moïse est intelligent, il ne brusque pas le peuple, il ne part pas en
guerre contre leurs coutumes ; au contraire, il leur dit : Tout ce que vous
avez l'habitude de faire, faites-le, mais ne vous trompez pas de dieu. Il
n'existe qu'un seul Dieu, celui qui vous a libéré d'Égypte. Faites-vous donc un
serpent ; regardez-le, c'est-à-dire, adorez-le, mais sachez que celui qui vous
guérit, c'est le Seigneur, ce n'est pas le serpent ! Quand vous regardez le
serpent, que votre adoration s'adresse aux yeux de l'Alliance et à personne
d'autre et surtout pas à un objet fabriqué par vous. 
Moïse a donc
transformé ce qui était jusqu'ici un acte magique en acte de foi, et Jésus
reprend cet exemple à son propre compte en disant : “De même que le serpent de
bronze fut élevé par Moïse dans le désert ainsi faut-il que le Fils de l'homme
soit élevé (sur la croix) afin que tout homme qui croit obtienne par lui la vie
éternelle.” Désormais, il suffit de lever les yeux avec foi vers le Christ en
croix pour obtenir la guérison intérieure avec le salut éternel. 
Le thème de la foi est essentiel dans l’évangile de Jean. Il ne s'agit plus de guérison extérieure, il s'agit désormais de la conversion de l'homme en profondeur. Cette conversion, c’est celle de l'homme qui ne récrimine plus, doute ou exige, comme les Hébreux au désert, mais qui est enfin convaincu de l'amour immense et personnel de Dieu pour lui et cela transforme toute sa vie.
Comment y arriver, à cette conversion ? En regardant, tout simplement. Dans son récit de la Passion, au moment de la crucifixion du Christ, Jean cite cette phrase du prophète Zacharie : “ils lèveront les yeux vers celui qu'ils ont transpercé”. Les contemporains l’ont fait, ceux qui étaient au pied de la croix, qu’ils soient bourreaux, adversaires ou disciples. Ce spectacle ne les a pas laissés indifférents, même les soldats, le centurion romain. Ce regard, depuis ce moment-là, il se poursuit toujours jusqu’à aujourd’hui, par chaque humain vivant en ce monde et qui est confronté à cette vision au travers de ce symbole de la croix. Cette croix, ignominieuse et pourtant glorieuse, a le pouvoir de transformer l’humain comme jadis le serpent de bronze (devenu symbole des professions médicales). Peut-être l’avez-vous expérimenté, comme je l’ai fait personnellement au cours d’une retraite qui m’a marqué : une méditation du prédicateur sur la croix m’avait touché au point que je n’ai plus jamais regardé un crucifix de la même manière - j'était resté un temps infini dans la chapelle contemplant au milieu de mes larmes la croix de Jésus ; et je pense que c’est aussi le cas de très nombreux chrétiens missionnaires, évangélisateurs ou simples mères ou pères de famille, des priants ou même des personnes qu’on dirait loin de l’Eglise mais que la croix du Christ émeut profondément et qu'ils respectent parce qu'ils se sentent quelque part rejoints par ce Dieu ou cet homme souffrant...
ça veut dire
qu'il y a deux manières de regarder la croix du Christ - et pour nous, de la
porter : Elle est c'est vrai la preuve de la haine et de la cruauté des hommes,
mais elle est bien plus encore l'emblème de la douceur et du pardon du Christ ;
il accepte de la subir pour nous montrer jusqu'où va l'amour de Dieu pour
l'humanité. La croix, c'est le lieu même de la manifestation de l'amour de
Dieu. “Qui m'a vu, a vu le Père” avait dit Jésus à Philippe. Sur le Christ en
croix nous lisons la tendresse de Dieu quelle que soit la haine des hommes ;
c'est pour cela qu'on peut dire que la croix est glorieuse parce qu'elle a le
lieu où se manifeste l'amour parfait, c'est-à-dire Dieu lui-même. 
Seigneur, suis-je assez convaincu que toi, tu aimes ce monde
tel qu’il est, et non pas seulement comme tu voudrais ou comme je voudrais qu’il
soit ? Il faut vraiment que tu l’aimes à la folie pour envoyer ton propre
Fils unique, comme on dit, « dans la gueule du loup » ! Tu te
doutais, et lui aussi, qu’il allait être « élevé » sur la croix. Et
si donc tu l’aimes ainsi, ce monde, comment moi dois-je l’aimer ? Et aimer
ses habitants ?
Tu me réponds : En voulant comme moi, Dieu, que le
monde, tout le monde soit sauvé ! Quand on aime, on ne juge pas, on ne
condamne pas, on donne de la vie, sa vie. Merci Seigneur, de m’aimer – de nous
aimer ainsi ! Merci et encore merci pour cette leçon magistrale, la plus
grande, la plus forte : la leçon de la Croix. Oui, il a fallu rien moins
que cela pour que je n’oublie jamais ton amour, votre amour à tous les trois.
Quand je regarde la croix, quand je l’embrasse, je ressens
tout ton amour miséricordieux que je ne mérite pas mais que tu donnes quand
même. Oui, à mon tour, je ne veux pas juger le monde, mais prier pour lui, pour
tous mes frères humains, et essayer de les aimer comme toi – en particulier
ceux qui portent des lourdes croix. Amen.
“Que voyons-nous en effet quand nous nous tournons vers la croix ? Un Dieu assez grand pour accepter de se faire tout petit, assez grand pour continuer sa vie parmi les hommes malgré les incompréhensions et la haine, assez grand pour ne pas fuir devant ses bourreaux, assez grand pour pardonner du haut de la croix… Ceux qui acceptent de plier le genou devant cette grandeur-là, sont pour toujours transformés !” (Marie-Noëlle Thabut)
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