C DIM 20 - Au feu !
« Je suis venu apporter un feu sur la
terre... Les membres de la même famille seront divisés… »
Voilà encore un Evangile qui secoue nos paisibles
certitudes ! Et qui apporte de l’eau au moulin de ceux qui voient le
catholicisme ou plus largement le christianisme (ou la religion) comme une
secte.
Combien de discussions n’ont-elles pas lieu, dans
le cadre familial ou avec des personnes dont on s’estimait proches, à partir de
certaines déclarations d’un pape sur des sujets délicats, ou d’affaires salissant
la réputation de l’Eglise - mais parfois aussi bien plus simplement, quand par
exemple à Noël, une partie de la famille (les grands-parents) auraient souhaité
participer à la Messe de Minuit ? En général, ce sont eux qui cèdent sur
le principe et leur envie, pour ne pas gêner les jeunes…
Discussions qui peuvent être âpres, parfois. Même si les
« cathos », depuis un bon bout de temps, ont appris à se faire
caméléons pour se fondre dans l’environnement et ne pas faire de vagues. En
tout cas, ceux qui maintenant font partie de la vieille garde, ceux qui vont
encore à la messe. Le dernier carré.
Cependant, il n’en va pas ainsi pour les jeunes générations Y, ces nouveaux chrétiens convertis de YouTube, Facebook, et qui sont passés par les communautés nouvelles ou les JMJ… Ceux-là tranchent par leur façon de s’affirmer clairement croyants, de pratiquer joyeusement et sans pudeur leur foi, et vont parfois jusqu’à s’agenouiller pour recevoir la communion sur la langue devant le regard ébahi des « anciens » ! Eux n’hésitent pas en tout cas à discutailler ferme -parfois jusqu’au prosélytisme- avec leurs homologues de la même génération Y sur tous les sujets religieux. Ils sont baptisés-vaccinés « cathos », et ils défendent leur identité. Cela nous interpelle, car d’année en année, on voit leurs rangs s’élargir et devenir de plus en plus nombreux, en commençant par ceux qui s’engagent sur un chemin de catéchuménat, ou carrément de vie religieuse (et pas dans les communautés les moins exigeantes, s’il vous plaît !)
Il y a un certain nombre d’années, on m’avait adjoint un
jeune vicaire, un garçon très gentil par ailleurs, artiste de surcroît, mais
fort peu intéressé par la gestion et le fonctionnement des rouages paroissiaux
si complexes. Il était, on peut le dire, « tout feu tout flamme »
pour Dieu, pressé de convertir et d’enflammer d’autres jeunes pousses, sans
tenir compte des habitudes en place depuis longtemps. Ses sermons duraient
souvent au moins 15 minutes, et plus ça avançait, plus le ton était fougueux et
enflammé… Il prenait des initiatives qui bouleversaient les usages établis. Etant
alors son curé responsable, je lui avais quelquefois reproché de ne pas tenir
compte des ‘réalités’, mais ça n’avait pas d’effet sur lui ; humblement il
reconnaissait ses ‘excès’ puis il recommençait sans pouvoir s’en empêcher. Il
allumait des incendies partout, j’entendais des rouspétances des paroissiens
(les vieux surtout), des critiques… Je devais tout le temps jouer au pompier.
Il est malheureusement décédé depuis, mais sur les 5-6 ans qu’il est resté dans
ces communautés, il a communiqué ce feu à un certain nombre de jeunes et
d’adultes, un peu ses « disciples », et dont certains aujourd’hui
sont encore engagés dans leur paroisse. J’ai compris par la suite que c’était
chez moi la peur des dissensions et des conflits qui m’avaient conduit à essayer
de tempérer son ardeur…
La tendance naturelle de
toute passion humaine, quelle qu’elle soit, est d’aller de l’embrasement des
débuts qui dure plus ou moins longtemps, à un progressif adoucissement qui se
transforme parfois en amitié confortable, où chacun y trouve son intérêt sans
trop se déranger dans ses habitudes. Il n’est plus question de folie, mais
d’ « amour raisonnable ». Sans doute en avez-vous déjà fait
l’expérience… j’ai envie d’ajouter « hélas », parce que n’est-ce
pas justement ce grain de folie qui est la caractéristique d’un grand amour,
celui que tant de poètes et artistes ont chanté ? Amour et raison sont des
choses parfois bien différentes, ainsi que le proclamait Bizet dans
« Carmen » : L’amour est enfant de Bohème qui n’a jamais connu
de loi.
Donc, il serait question d’amour dans ce passage de l’Evangile ? Peut-être, sans doute… Est-ce que nous n’aurions pas à nous poser certaines questions, quand nous voyons nos communautés ronronner bien confortablement de semaine en semaine ? Et qu’en est-il de notre vie à nous, notre vie de foi personnelle ? …Il y a un passage du Livre de la Révélation (Apocalypse) encore plus dérangeant où le Christ dit : « Je connais tes actions, je sais que tu n’es ni froid ni brûlant – mieux vaudrait que tu sois froid ou brûlant. Aussi, puisque tu es tiède – ni brûlant ni froid – je vais te vomir de ma bouche » (Ap 3,15-16).
Je vous le confesse, quelquefois, au cours de ma vie, à
côté d’autres moments où j’étais totalement pris de passion pour Dieu, pour le
Christ et l’Evangile, ce qui me poussait tant dans ma vie de prière que dans
mon ministère de prêtre à me donner à fond et avec un cœur brûlant, à côté de
ces moments j’ai connu aussi d’autres périodes disons de refroidissement –
heureusement pas d’époques glaciaires, mais de refroidissement quand même. À
chaque fois alors, quand la flamme baissait un peu, et que l’habitude prenait
le dessus ou que le découragement ou la morosité s’installait, il fallait que
je fasse une retraite, une session ou un pèlerinage comme celui que j’ai fait à
Compostelle pour que la flamme soit ranimée et pour pouvoir me donner avec un
bonheur renouvelé à l’amour brûlant du Christ. Ou alors c’était une rencontre,
un frère ou une sœur « brûlant.e » qui me relançait.
Mes chers frères et sœurs, nous sommes tous pareils ; ce
qui arrive dans nos vies est ce qui arrive aussi à l’Eglise entière. Se
succèdent aussi pour elle, après des époques de ferveur missionnaire, des
périodes de refroidissement où l’Eglise doute d’elle-même, de sa pérennité et
de la promesse du Christ selon laquelle « les portes du mal n’auront sur
elle aucun pouvoir »… c’est humain, trop humain hélas car cela touche à
la capacité d’espérance, à accueillir le Don que Dieu lui fait chaque jour
– « si tu savais le Don de Dieu, je t’aurais donné l’Eau Vive,
l’Esprit-Saint » dit le Christ à la Samaritaine. Heureusement, le Seigneur
lui-même ranime toujours la flamme en soufflant sur les braises ; et nous
voyons se lever aujourd’hui cette nouvelle et surprenante génération de jeunes
croyants comme un blé qui a germé des vieux grains semés aux quatre vents par
les anciens… Espérance !
La Foi, frères et sœurs, ne doit jamais aller sans l’Amour ni sans l’Espérance.
La Foi sans l’Amour devient une secte, une idéologie qui
exclut tout ce qui n’est pas elle et s’impose par la force sans aucun dialogue
(comme cela a hélas parois été le cas dans le passé). L’Amour ne demande pas de
se couper des autres mais de les accepter tels qu’ils sont, comme je m’accepte
tel que je suis (et j’attends bien sûr la pareille des autres, y compris dans
ma famille proche).
La Foi sans l’Espérance sépare les hommes en croyants et en
mécréants ; elle ne voit pas que chez chacun il y a de l’inachevé, du
provisoire, et que rien n’est jamais figé ; l’Avenir est ouvert parce
qu’il appartient à Dieu et nous réserve bien des surprises. Croire qu’un jour
« Dieu sera tout en tous » interdit de cataloguer définitivement qui
que ce soit – d’autant plus qu’il peut nous arriver à nous aussi des
« refroidissements » !
C’est seulement la Foi sans l’Amour et sans
l’Espérance, qui divise et rejette. Il est naturel, Jésus nous
prévient, que comme pour lui, les croyants rencontrent des incompréhensions
voire des oppositions jusque dans leur propre famille. Il est dangereux par
contre de rêver et de vouloir vivre », rien qu’entre « purs », entre
« bons chrétiens » - communautés chaleureuses mais fermées : c’est
alors qu’on risquerait de tomber dans le fondamentalisme et le fanatisme. Mais,
pour rester vivante, la Foi doit continuellement circuler de l’un à l’autre en
se confrontant et en acceptant la discussion et les différences, y compris
avec ceux qui ne croient en rien. C’est ainsi qu’elle grandit en restant
ouverte à l’inconnu qui est Dieu.
Qui soufflera sur nos vieilles braises ? "Il me tarde tant que ce feu soit allumé", nous dit Jésus. Amen.
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