C DIM 08 - Apprendre à un vieux singe
Quand nous
étions petits, ma grand-mère lançait volontiers aux garnements que nous étions une
de ces sentences dont elle pensait à tort ou à raison qu’elle pouvait nous
faire réfléchir sur notre comportement :
“Tel père, tel fils !” (pas très gentil pour papa)
“Jeu de main, jeu de vilain.” ... (quand nous nous battions)
“Ce sont les tonneaux vides qui font le plus de bruit.” ...
(sans commentaire !)
“Tant va la cruche à l’eau qu’à la fin elle se brise” ...
(quand nous recommencions nos bêtises)
Et : “On n'apprend pas aux vieux singes à faire des
grimaces.” (quand on croyait l’avoir dupée)
Je ne sais
pas si cela a eu un effet sur notre éducation, mais ces dictons sensés nous
instiller une sagesse certainement alors déficiente et qui peut-être l’est
encore, soulignent le poids des images pour faire passer des messages sans
avoir besoin de grands discours, parce que les images en question se
comprennent de façon quasi instantanée et se mémorisent très bien. Ce procédé
est en effet très ancien, puisque l’auteur biblique Ben Sira (le fils de Sira)
en fait déjà largement usage vers 180 avant Jésus Christ.
Nous en
avons écouté quelques échantillons, choisis pour faire écho à ceux que Jésus
lui-même énonce aujourd’hui dans son enseignement, enseignement adressé de
façon précise aux disciples qui, comme le rappelle Luc, « ne sont pas plus
grands que le Maître, mais qui une fois bien formés, seront comme lui. »
Voilà l’introduction au manuel du parfait disciple dans les premières
communautés chrétiennes : ne pas se prendre pour un ou des maîtres
avant d’avoir parfait sa formation !
Si les
proverbes du vieux sage Ben Sira ne nous sont pas très familiers, bien qu’ils restent
pourtant parlants (le tamis, le four du potier…), ceux employés par Jésus et
qui probablement couraient déjà de son temps : chercher la paille dans
l’œil du voisin, reconnaître l’arbre à son fruit…, ces expressions nous ont
marqués et ont laissé des traces dans notre langage courant, bien au-delà des
milieux chrétiens ; on les cite dans diverses circonstances sans évoquer
leur source, leur origine religieuse. Tant mieux au fond : l’évangile peut
percoler aussi dans la société à travers les paroles de sagesse…
Maintenant,
attention, « ne jetons pas le bébé avec l’eau du bain » : Quelle
valeur peuvent avoir ces images pour nous aujourd’hui si nous nous replaçons
dans l’optique d’une formation chrétienne continue ? – Car je veux
croire que nous voulons être toujours bien des disciples, n’est-ce pas, c’est-à-dire
des élèves, des apprentis du Christ ! Pour que, comme disait le frère
Roger de Taizé nous mettions en pratique « le peu que tu as compris de
l’évangile ».
Dans cette optique-là, ces images prennent un sens nouveau : Avec la parabole de la paille et de la poutre, il nous est rappelé que nous sommes tous des aveugles de naissance. Pour devenir disciple et avant de se prendre pour un guide, il s’agit de passer de l’aveuglement de l’incroyance à la lumière de celui qui voit parce qu’il croit et qu’il se laisse enseigner par le Maître : comme les disciples d’Emmaüs dont Luc écrit qu’il « ouvrit leur intelligence à la compréhension des Ecritures » (Lc 24,45).
Luc passe ensuite sans transition à la métaphore de l'arbre et des fruits, ce qui donne à penser qu'on est toujours dans le même registre : le vrai disciple, celui qui se laisse éclairer par Jésus-Christ, porte de bons fruits ; celui qui ne se laisse pas éclairer par Jésus-Christ reste dans son aveuglement et porte de mauvais fruits. De quels fruits s'agit-il ?
Sans doute, puisque
ce petit passage fait suite à tout un chapitre de Jésus sur l'amour fraternel
qu’on a exploré dimanche dernier (« ne jugez pas et vous ne serez pas
jugés, donnez on vous donnera, pardonnez et vous serez pardonnés… »), on
comprend que les fruits désignent notre comportement de disciple ; le mot
d'ordre général étant « soyez miséricordieux comme votre Père est
miséricordieux ».
En quelques
phrases, finalement, Luc vient de nous présenter l’effet du travail de la grâce
dans le cœur et la vie de celui qui se laisse former par Jésus-Christ : le disciple qui
écoute la parole et la met en pratique est transformé dans tout son être : son
regard, son comportement, son discours (« Ce que dit la bouche, c'est
ce qui déborde du cœur »). Remarquons que la première étape de la
formation, le B.A.BA en quelque sorte, consiste à apprendre à regarder les
autres comme Dieu les regarde : un regard qui ne juge pas, ne condamne pas, qui
ne se réjouit pas de trouver une paille dans l'œil de l'autre ! D'ailleurs la
paille dans l'Ancien Testament, c'est l'image de quelque chose de minuscule,
qui ne compte pas.
L’œuvre du
Seigneur se poursuit, écrit Paul. Et c’est cela notre force et notre grâce,
notre chance. Sommes-nous trop vieux,
trop âgés pour être des disciples, pour devenir des apprentis du Christ ? Le
psaume a cette très belle expression : « Vieillissant, il fructifie encore.
» - Le frère franciscain Nicolas Morin raconte que des personnes lui
disaient qu’elles étaient parfois agacées que l’on mette toujours les jeunes au
premier plan, dans la société comme dans l’Eglise, comme si les personnes plus
âgées n’apportaient plus rien. « Or, disaient-elles, on passe par des épreuves
qui permettent de dégager beaucoup de choses. On laisse tomber des complexes
inutiles qui nous font découvrir en nous des valeurs essentielles. Le meilleur
s’est dégagé. Comme ces églises où l’on enlève le noir des pierres et qui
retrouvent leur beauté première. »
Il n’est jamais trop tard pour se (re)mettre en route, à l’école du Christ. Au fond, peut-être que les vieux singes peuvent encore apprendre à faire des grimaces !... Mercredi, jour des Cendres, nous commencerons cette longue marche vers Pâques et qui est un entraînement pour chaque chrétien à vivre en disciple de Jésus-Christ. Je me réjouis de le vivre avec vous !
Si nous
acceptons et si nous nous engageons à être ses disciples, à penser, parler et
agir comme il nous l’indique, alors le Christ vivant est effectivement à
l’œuvre dans nos vies. Et, malgré les apparences, malgré nos infidélités, nos
fragilités et nos échecs, nous sommes toujours réconfortés par les mots de
l’Apôtre : vous savez que dans le Seigneur la peine que vous vous
donnez n’est pas perdue.
Que ce
Carême soit pour chacun de nous l’occasion de redécouvrir la grâce de notre
baptême qui nous unit réellement au Christ mort et ressuscité ; alors, au
matin de Pâques, nous pourrons nous exclamer avec Saint Paul : « Rendons
grâce à Dieu qui nous donne la victoire par Jésus-Christ, notre Seigneur. »
AMEN !
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