B DIM 29 - Quelle ambition ?
Je suis souvent
frappé par le manque d’ambition des catholiques que nous sommes.
Je ne parle
évidemment pas de ceux qui se sont présentés sur les listes électorales, et qui
jouent des coudes pour obtenir un siège à un conseil ou un poste de maïorat, ou
mieux encore, un portefeuille de ministre. Ceux-là, il y en a assez. Et s’il
n’y avait pas des citoyens qui ont une certaine ambition personnelle mais aussi
un projet de transformation ou d’amélioration de la société, qui donc ferait
fonctionner notre démocratie en représentant le peuple ?
Mais les chrétiens,
les croyants, eux, quelle ambition ont-ils encore ? Quand je pense –
puisque nous sommes dans le mois des Missions – à tous ces missionnaires,
ces jeunes gens et ces jeunes femmes, qui sont partis en laissant derrière eux
leur famille, leur pays, leur culture, pour aller porter l’Evangile dans ces
terres lointaines d’Afrique ou d’Asie, soigner les gens, construire
dispensaires, écoles, églises, se faisant souvent serviteurs de tous par amour
du Christ, et avec une espérance de vie pas très grande à cause des maladies
tropicales, des conditions de vie plus que difficiles ou carrément l’hostilité
violente de certaines populations…
J’en ai connu plusieurs quand j’étais curé dans le pays de Waimes, région qui a produit énormément de missionnaires jusque dans les années 60-70 : des scheutistes, des Pères blancs ou spiritains, des missionnaires laïques féminines… Et puis, ça s’est tari. Ceux qui vivent encore ont plus de 80 ans en moyenne, mais aucun pour ainsi dire n’envisage de rentrer finir ses jours en Belgique. Ils ont lié leur destin à celui des peuples et des communautés qu’ils servaient. Je pourrais parler aussi des autres vocations, les prêtres diocésains ou ceux prêtés à un diocèse étranger, au Congo, en Amérique du sud (qu’on appelle « fidei donum »), les coopérants laïcs comme Maria Masson qui est décédée récemment à Bukavu au Congo : Tous ces infirmiers et infirmières, médecins et combattants de la santé ou de l’éducation qui offrent plusieurs années de leur vie pour aider les plus pauvres au nom de leur foi en Dieu et en l’homme…
Ce que j’admire chez
tous ces gens-là, c’est leur ambition. Evidemment, ils ne le font pas pour
avoir des médailles, de la célébrité, de l’argent. Leur ambition est ailleurs. C’est
juste que, saisis par le Christ et son amour pour les pauvres, les petits, ils
veulent vivre à son image, à sa façon. Et leur engagement est entier, généreux sans
calculer. La joie de servir ! Voilà tout ce qu’ils ambitionnent.
Autrefois, il y a 100 ans, les missionnaires s'inscrivaient dans la droite ligne de la colonisation : dominer, conquérir, apporter son savoir-faire et sa religion à des peuples considérés plus ou moins consciemment comme inférieurs. Aujourd'hui, être missionnaire, c'est vivre au service des peuples auprès de qui le Seigneur nous envoie. Et c’est même assez drôle de penser qu’aujourd’hui, ce sont des prêtres africains qui sont missionnaires chez nous ! Juste retour des choses. Mais leur tâche est peut-être plus difficile que celle des missionnaires européens d’autrefois, car ils arrivent dans des pays de vieille chrétienté qui sont fortement sécularisés et qui ont renié leur foi.
Donc, Jésus ne critique
pas l’ambition des apôtres Jacques et Jean ! Mais il la recadre, il leur
montre ce qu’implique leur ambition, et quels moyens il faut mettre en œuvre
pour la réaliser. « Vous êtes
ambitieux, vous visez haut, c’est très bien. Mais êtes-vous prêts à aller
jusqu’au bout, à donner votre vie ? Pouvez-vous boire à la coupe que je
vais boire ? recevoir le baptême dans lequel je vais être
plongé ? »
« Vise le plus haut possible », dit en substance Jésus, « mais n’oublie pas que le chemin de la réalisation de soi passe, non pas par l’humiliation ou par l’écrasement, mais par le don de soi qui permet aussi l’accueil de l’autre. » - Comme le Baptême, qui ne détruit pas la nature humaine mais qui l’élève en la donnant à Dieu comme une offrande. En me donnant à Dieu et aux autres, je grandis, je m’épanouis, je deviens davantage moi-même !
Frères et sœurs, ne
manquons-nous pas d’ambition, nous chrétiens d’aujourd’hui ? Quand
nous voyons chez beaucoup de nos contemporains leur empressement à vouloir
conquérir les premières places, à occuper le devant de la scène, briguer les
postes les mieux rémunérés et pousser même leurs enfants dans la compétition
pour être les plus performants et faire carrière, quitte à écraser ceux
« qui ne suivent pas », ces ambitions humaines nous choquent et nous
nous bouchons volontiers le nez devant la vulgarité de certains qui étalent la
réussite financière comme seul critère de réussite de la vie. Or, n’est-ce
pas un prétexte parfois, sous couvert d’humilité, pour ne pas oser nous mettre
en avant pour la cause de l’Evangile ?
« Je ne veux
prendre la place de personne. » « Moi, je n’en suis pas capable, je
laisse cela à ceux qui sont mieux formés, plus intelligents que moi. » « Je
ne suis pas digne d’une telle responsabilité, je laisse ce rôle à ceux qui sont
plus honorables que moi. »
Combien de fois n’ai-je pas entendu ces réponses quand je
demandais à quelqu’un de prendre un service en charge, comme catéchiste,
sacristain, dans une œuvre de solidarité ou un service paroissial… C’est fou ce qu’on est humble dans
l’Eglise ! Et puis, on a peur des critiques : Pour vivre heureux,
vivons cachés ! Si Jésus avait eu peur des critiques, il n’y aurait ni
Eglise ni chrétiens aujourd’hui, au lieu d’un peuple de 4 milliards de croyants ;
et le Pape lui aussi, s’il avait peur des critiques, il n’ouvrirait sûrement jamais
la bouche car ce qu’il a à dire ne va pas forcément dans le sens du poil !
Moi j’ouvre peut-être un peu trop la mienne, mais n’est-ce pas finalement mieux
que de ne rien dire pour ne pas « faire de vagues » ? La langue
de bois ou la langue de buis, c’est aussi une spécialité des cathos.
Alors, frères et sœurs, quelles sont vos ambitions à vous ? Nos ambitions humaines ne sont pas forcément mauvaises, mais toutes ne sont pas non plus forcément bonnes, sans doute ; mais n’est-ce pas justement l’occasion de les évangéliser, en les équilibrant, en les ajustant aux rêves de Dieu pour chacun de nous ?
Si notre ambition
fondamentale est de servir (plutôt que de se servir), alors nous sommes
proches du Royaume. Pour cela, acceptons de quitter notre zone de confort, et répondons
autant que nous le pouvons, sans complexes ni fausse modestie, aux appels du
monde et de l’Eglise : ils nous feront grandir en nous conformant au
Christ-serviteur. Par notre Baptême il nous est donné à tous la grâce de
l’Esprit pour vivre la mission, quel que soit notre état de vie et nos
« capacités ».
Choisir de se faire
le serviteur de tous, c'est affirmer que notre vie ne vaut la peine d'être
vécue que dans la relation à l'autre. Une relation faite de respect, de service
et d'amour. Et s’il y a des « chaînes » dans cet « esclavage »,
elles ne sont faites que d’amour. Non d’abus et de domination. En fait, on
n’est jamais aussi libre que lorsque l’on sert, qu’on choisit de servir.
Et c'est là notre
joie. Amen.
À propos de l'ambition et de la volonté d'aller de l'avant, connaissez-vous cette histoire : Il y avait une personne, une jeune fille un peu déprimée qui avait une petite opinion d'elle-même, elle n'osait rien entreprendre car elle se disait que de toute façon, cela n'allait pas marcher, qu'elle était trop nulle, etc. Or, elle vivait dans un appartement à l'étage, et regardait de temps en temps dans la rue par la fenêtre.
Elle finit par remarquer quelque chose d'étrange : Tous les jours, à la même heure, un quidam passe sur le trottoir, et arrivé à la hauteur d'un panneau de signalisation, il s'arrête et s'incline en une large salutation devant le panneau et puis poursuit son chemin. Le manège se reproduit si souvent, qu'à la fin, intriguée, notre jeune fille n'y tient plus et va voir ce panneau routier qui provoque un tel comportement. Tout-à-fait ordinaire, c'était un signal "Interdiction de stationner".
Le lendemain, la
jeune fille, voyant arriver le quidam, se précipite pour l'intercepter au
moment où il fait sa salutation, et lui pose la question qui lui brûle les
lèvres : "Je vous demande pardon, Monsieur, mais je vous vois chaque jour
saluer ce panneau. Pourriez-vous m'expliquer pour quelle raison vous faites ce
geste?" Et le quidam lui répond : "Eh bien, je remercie ce panneau,
et tous ses frères le long de mon chemin, parce qu'il me rappelle que je dois
toujours rester en mouvement et ne pas m'arrêter dans ma vie. Aller de l'avant
malgré les peurs, les soucis ou les idées négatives qui pourraient me faire
douter de moi et des possibles qu'offre l'existence. Alors, je lui dis merci
pour ce rappel !" Et, à dater de ce jour-là, la jeune fille, ayant
médité sur le message du quidam, se mit également à saluer tous les panneaux
"Interdiction de stationner", et s'en trouva bien.
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