A DIM 11 - Qui sont vos amis ?
On prête à Jésus la faculté de tout connaître à l’avance – en particulier dans l’Evangile de Jean, le plus tardif des 4 Evangiles. Il connaissait
particulièrement bien le cœur des hommes et leur psychologie. Pourtant, quand
Jésus choisit ses apôtres, il n’a pas eu la main très heureuse – à moins qu’il
l’ait fait exprès :
Pour son futur cabinet de gouvernement mondial il ne leur a pas
fait passer un test d’embauche, il n’a même pas été voir à Jérusalem les
diplômés de la grande école rabbinique - il a pris ceux qu’il avait sous la
main : des pêcheurs peu instruits, des galiléens dont la foi n’était pas
pure aux yeux des juifs de Judée, un impulsif comme Simon-Pierre qui le reniera,
un fonctionnaire douteux et collabo (Matthieu), deux militants politiques
exaltés (Simon le zélote et Judas l’iscariote)… Les zélotes étaient des extrémistes
anti-romains, prônant la violence, et le surnom de Judas iscariote viendrait
des « Sicaires », c’est-à-dire véritablement des longs couteaux, des
terroristes.
Bref, une drôle de « Vivaldi » ! – On voit déjà
comment cela se passe dans notre propre pays et comment cela risque de se
passer avant et après les élections… ! En fait, pour créer sa future
Eglise, Jésus semble avoir rassemblé un ramassis d’individus à priori
incompatibles entre eux. Et même, peu aptes ni accordés à leur future mission…
En plus, il leur donne immédiatement des pouvoirs : expulser
les esprits impurs et guérir les maladies et les infirmités. Comme si Jésus ne
savait pas que le pouvoir monte très vite à la tête et fait se prendre les gens
pour des demi-dieux. D’ailleurs ils ont très vite discuté entre eux pour savoir
qui était « le plus grand »… Et Jean et André voulaient faire tomber
le feu du ciel sur une malheureuse bourgade qui ne les avait pas reçus.
C’est pas l’équipe dont on aurait rêvé n’est-ce
pas pour diriger ne serait-ce qu’une paroisse – et ici on parle de la future
Eglise toute entière ! Jésus pourtant a fait confiance à ces hommes
(rien que des mâles, d’ailleurs, à l’époque ce n’était pas pensable et même
très suspect d’embaucher des femmes) - et il a pris le risque de se livrer
entre les mains de gens peu recommandables
Donc Jésus à la fois choisit les 12 (en référence
évidemment aux 12 tribus d’Israël), et il les reçoit, tels qu’ils
sont. Car ils sont rebelles, râleurs, un peu ‘bouchés’, lâches, et aucun ne va
réagir comme Jésus aurait pu l’espérer. Ça ne fait rien : tels qu’ils sont,
Jésus prend le risque. D’abord de les appeler, puis de les envoyer, et tout au
long, de les aimer. Il leur dira : Maintenant, je vous appelle mes amis. N’est-ce pas une curieuse façon de choisir
ses amis ?
Comment choisit-on ses amis ? Comment les choisissez-vous ?
En règle générale, vos amis proviennent du même milieu social que
vous. Ils ont plus ou moins le même âge, la même culture que vous. Ils ont
souvent les mêmes opinions que vous et comme ceux qui se ressemblent s’assemblent,
n’est-ce-pas, ils se marient entre eux, font des affaires entre eux, et votent
ou militent dans les mêmes partis…
Eh bien là, Jésus fait fort : Il a l’audace, lui, de tenter une
vraie mixité sociale au sein de son groupe. Et c’est pas évident du
tout ! Non seulement il mêle des jeunes (Jacques et Jean) et des vieux
(Pierre et André), mais aussi des pêcheurs rugueux avec un fonctionnaire
véreux, des impurs comme Mathieu et les galiléens avec les purs et durs comme
Simon et Judas, des révolutionnaires comme Simon le zélote et Judas l’Iscariote
avec des ‘doux’ comme Jean ou André... C’est un vrai chaudron explosif !
Il aurait pu y ajouter l’une ou l’autre femme, mais comme je l’ai dit, les
coutumes de l’époque excluaient ce genre de familiarité – ce qui n’a pas
empêché des femmes de le suivre malgré tout : Marie-Madeleine, Salomé,
Jeanne, etc.
Ces Douze forment un composé chimique hautement instable, que
seule l’autorité charismatique de leur Maître maintient dans un semblant de
cohésion. Et des tiraillements, il y en aura incontestablement. Sans parler des
trahisons.
Chères sœurs et chers frères, est-ce que votre liste de
contacts personnels, votre liste d’amis est aussi bigarrée et diverse que celle
des Douze amis de Jésus ?
Combien avez-vous d’amis venus d’un milieu social
très différent du vôtre ? Combien ont 20 ans de plus ou de moins que vous
? Combien viennent d’une autre région ou pays ? Combien votent à l’opposé de
vos opinions ? … Pas tant que cela, n’est-ce pas…
Alors, LA QUESTION : Mais enfin pourquoi
Jésus a-t-il pris un tel risque ? Vous imaginez le travail que le
Christ a dû se taper pour former, éduquer, calmer ce ramassis de caractères et
de caractériels, plus ou moins bouchés, plus ou moins ouverts ? Il a dû transpirer !
Pourquoi avoir voulu envers et contre tout cette
mixité qui est tout sauf naturelle ?
...
Je ne vois qu’une réponse.
Jésus ne voulait pas que son Eglise – notre Eglise, celle qui est aussi la nôtre maintenant, soit un club de bons
copains, qui pensent tous la même chose, ont la même couleur politique (PSC-CDh-Engagés
de préférence), prient de la même façon, aient les mêmes activités sociales, la
même culture, les mêmes loisirs… et soient tous de bons petits clones chrétiens
formés au même catéchisme. J’ajouterais, même si ce n’est pas explicite, qu'ils
n’aient pas forcément la même orientation sexuelle.
Bref, il n’est pas favorable à une trop grande homogénéité
dans nos communautés ecclésiales, qui lisserait ou gommerait toutes les
différences, comme si l’Eglise devait être une caserne avec de bons petits
soldats, une armée obéissante, ce qu’elle a parfois essayé d’être dans son
histoire.
En fait, je crois que le Christ a voulu que l’Eglise soit à l’image de la Trinité. L’unité dans l’altérité. Et ça c’est un enjeu fondamental.
Et c’est pourquoi, dans l’Eglise, il y a des
vieux et des jeunes (là il en faudrait un peu plus et ça doit nous interpeller) ;
des progressistes et des conservateurs ; des chrétiens sociaux et des
chrétiens adorateurs ; des leaders et des suiveurs ; des
gestionnaires et des inspirateurs ; des prophètes qui dénoncent et
grattent là où ça fait mal et des gens calmes qui écoutent et réconcilient ;
des scrupuleux fans de droit canonique et des audacieux cherchant ce que dit l’Esprit
aux églises ; des hommes et des femmes ; des hétéros et des homos ;
etc.On peut éventuellement ajouter aussi : des
catholiques et des protestants, orthodoxes…
Tout ça, c’est l’Eglise du Christ.
Sûr que ce serait plus facile si tout le monde se
ressemblait et faisait pareil. « Pareil que moi », dit chacun. Mais
ce n’est pas ce que Dieu et donc Jésus a voulu pour son Eglise. Une belle
diversité, dont le liant, qui fait tout tenir ensemble et c’est déjà en soi un
miracle et la preuve que l’Esprit Saint existe, le liant est l’AMOUR, la
caritas, « agapè » en grec : c’est l’amour à la manière de Dieu.
Comme nos communautés seraient ennuyeuses, si
tout le monde était pareil ! Mais, au fond, sont-elles si diverses
que cela ? N’avons-nous pas au fil du temps cherché nos amis et
nos relations dans les rangs de ceux qui nous ressemblent et pensent pareil ?
Nos équipes, qui s’entendent merveilleusement bien, ne sont-elles pas composées
toujours des mêmes personnes ?
Est-ce que l’appel et l’envoi des Douze par Jésus
ne serait pas pour nous et nos équipes, nos communautés paroissiales, une
invitation à élargir nos cercles, ou comme le disait notre
évêque dans son message d’Avent reprenant une parole d’Isaïe : à « élargir
l’espace de notre tente » ?
La Rencontre est toujours une chance. Et même
plus, une grâce.
Car que serait l’amitié si elle se limitait à ceux qui nous
ressemblent ?
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