A PAQ 03 - Emmaüs, là où la vie ressuscite
Emmaüs !
Un nom que tout le monde ou presque, connaît. Même les non-croyants, des gens
éloignés de l’Eglise – ne serait-ce qu’à cause de l’œuvre des chiffonniers d’Emmaüs.
Emmaüs, c’est le lieu de nos errances, la route de nos désespoirs, de la fin de nos illusions.
Mais c’est aussi le creuset, la matrice où la Vie ressuscite !
Dans ce récit de Luc, la route d'Emmaüs commence par ressembler étrangement à cette expérience partagée par bien des chrétiens d’aujourd’hui, qui est celle d’une fin de parcours. On n’en peut plus ; c’est fini ! Pourquoi s’acharner, pourquoi continuer encore à croire, à aimer, à espérer ? C’est foutu ! Un peu comme si on se laissait aspirer par le néant…
C’est le cas de nos deux disciples, Cléophas et l’autre : Ils tournent le dos à Jérusalem, tous leurs espoirs consumés. Jérusalem, aujourd’hui on dirait : l’Eglise. Dans un tel lieu, ils ne pouvaient plus exister. Il leur fallait chercher ailleurs, prendre la route pour changer de monde, comme pour exorciser leur souffrance.
Ils ont sans doute le sentiment
de « s’être fait avoir » – comme un certain nombre de catholiques
d’aujourd’hui, qui eux aussi tournent le dos à la religion de leur jeunesse et
s’en vont – souvent sans bruit.
Qui
n’a jamais ressenti cette déception en regardant l’état de l’Eglise aujourd’hui ?
Ou l’état du monde, de sa propre existence… Quelquefois, on en parle, comme les
disciples sur le chemin : “Ils
parlaient et discutaient entre eux”.
Quand au hasard
d’une discussion entre voisins, avec des collègues ou bêtement chez le coiffeur
on aborde ces sujets, beaucoup évoquent des déceptions similaires. Comme les
deux compagnons dont nous suivons la trace dans l’évangile, nos interlocuteurs vont évoquer un passé mort et enterré. Ils vont nous dire que jadis, ils allaient à l’Eglise, qu’ils fréquentaient le
catéchisme ou l’école catholique, ou même qu’ils ont été acolytes... Puis, tout
s’est arrêté.
Déçus
par Dieu ou par les hommes, ils ont suivi la pente de tout le monde, le penchant
de notre époque : ils ont cessé de croire ou en tout cas ils se sont mis à
vivre comme si ce monde avait été déserté par Dieu. Ils prétendent, en tout cas
c’est ce qu’ils disent, que la vie qu’ils mènent sans Dieu n’est pas plus
mauvaise que celle qu’ils menaient avant…
Ils
suivent leur chemin sans se douter que sur la route qui les mène nulle part,
quelqu’un marche à leurs côtés…
Frères
et sœurs, nous savons bien qu’il y a dans la vie parfois des moments où “les
belles paroles”, les beaux discours ne nous disent plus rien. Les pertes, les
deuils, les échecs de tous genres nous laissent des blessures profondes. Au
contraire, les conseils maladroits de ceux qui pleins de bonnes intentions nous
invitent à « tourner la page » nous hérissent et nous font mal.
Comme
les disciples, nous nous demandons : Où est passé Dieu dans ces
événements? Pour Cléophas et son copain, Jésus était plus qu’une définition de
catéchisme : il était leur “maître”, celui sur qui ils avaient misé le
plus profond de leur vie, de leur foi et de leur avenir. Leur déception, leur
désespoir est immense. Ce n’était pas le moment de les bassiner avec des
paroles de consolation faciles, du genre : « T’en fais pas, ça va
passer » ; ou « c’est comme ça, c’était son heure. Demain
ça ira mieux. »
C’est là qu’il faut admirer la pédagogie, le « style » de Jésus :
« À vrai dire… » Cet « à vrai dire » de Cléophas, c’est la porte qui s’entrouvre, pour que la petite lumière de l’espérance puisse s’infiltrer……. « À vrai dire, des femmes de notre groupe nous ont rempli de stupeur… Elles sont allées au tombeau, n’ont pas trouvé son corps, nous ont raconté qu’elles avaient eu une vision, des anges qui disaient que Jésus était vivant… Mais ça, c’est incroyable, n’est-ce pas ? »
On sent à ce moment que là, malgré tout, malgré leurs larmes dans les yeux, ils ont envie de croire ! C’est sur cette envie que Jésus va rebondir : « Esprits sans intelligence ! Est-ce qu’au moins vous comprenez le sens de ce que vous entendez le dimanche à la messe, le sens des Ecritures ? La Parole, la bible, vous l’avez. Mais vous n’accédez pas au contenu parce que votre esprit et surtout votre cœur est bouché ! »C’est
là que nous en sommes très souvent, frères et sœurs. Nous
savons, on nous a appris les écritures,
mais cette connaissance ne nous a pas encore atteints en profondeur. Nous
sommes des savants mais pas encore des croyants. La brûlure de notre cœur n’a
pas encore eu lieu. Nous n’avons pas appris à mettre cette connaissance
biblique en rapport avec notre propre vie et tous les événements.
Alors
l’inconnu les invite à réentendre une parole déjà dite par Dieu, une parole qui
met des mots sur ce qui s’est passé, les mots de Dieu : c’est une
catéchèse, mais en lien avec leur vie, leur vécu. Cette évangélisation transforme
le regard des disciples, leur cœur commence à bouger, mais ils ne se rendent
pas encore compte de la lumière qui est entrée en eux.
Ensuite,
arrivés à l’auberge, et bien Jésus il ne s’impose pas. Ça aussi ça fait
partie de son 'style'. Il ne veut pas les capter, les rendre dépendants de lui
comme certains évangélisateurs qui sont des gourous. Alors, et ça c’est très
amusant et parlant à la fois, il fait semblant d’aller plus loin. Encore une bonne
leçon : une fois le message délivré, le chrétien qui veut évangéliser doit
disparaître. Tout en était disponible au cas où… Ne pas s’imposer, ne pas mettre la
main sur la personne.
Les
deux disciples sentent que cette route ne peut pas se terminer ainsi; il
leur faut aller plus loin, là où la rencontre peut renouveler leur foi et
leur vie. Alors ils invitent l’Inconnu à souper – une démarche de
communion : « Reste avec nous ». Quand il fait sombre
dans mon existence, c’est la parole qui me vient souvent aux lèvres…
L’inconnu entre dans l’auberge avec eux et il s’assoit. Il rompt le pain et dit la bénédiction. Ce sont là les gestes de la vie quotidienne, ce sont les gestes de la vie sociale, de l’amitié partagée. Il n’y a aucun prodige dans ces gestes, pas de miracle non plus. Mais toutes les fois que quelqu’un les fait en notre présence, cela nous rappelle que Jésus est mort en les accomplissant et qu’en les faisant, il rendait visible la présence de Dieu au cœur de tous les hommes. “Alors, leurs yeux s'ouvrirent, et ils le reconnurent.” C’est toujours le « style de Jésus » : il leur rappelle qu'au-delà de la mort, il est des gestes et des paroles qui sont éternels. Ceux-ci ouvrent la porte à la naissance de Dieu et de son Esprit dans le monde.
Emmaüs,
c'est la route de la fin du jour, mais aussi de la rencontre, de l'écoute et du
partage. Emmaüs, c'est la route où, “chemin faisant”, la présence de l'Autre,
le Ressuscité de Pâques, resurgit. Où l’Espérance renaît. Où la Vie ressuscite,
nos pauvres et merveilleuses vies, à nouveau habitées de sa Présence.
Aujourd’hui, frères et sœurs, le Ressuscité marche à nos côtés. Après nous avoir rencontrés dans sa Parole brûlante, laissons-le s’assoir à notre table pour nous ouvrir les yeux de la foi. Comme au soir d’Emmaüs. C’est une expérience qu’il nous faut faire et refaire sans cesse.
...Et comme Jésus auprès de ses frères
endeuillés, ayons du style !
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