C PAQ 01 - Pâques est à danser !

 Pâques est à danser !  (homélie de la nuit et du jour de Pâques 2022)

 

Pâques, enfin ! Pâques tant attendues, durant tout ce long carême, ce long hiver où nous avons enduré le froid, la pluie, le vent, le Covid, et bien d’autres difficultés, désagréments, tristesses, deuils….

Pâques, enfin ! La lumière éclate sous un soleil enfin généreux, la nature s’est éveillée et nos corps engourdis bougent enfin, …ceux des petits enfants qu’on ne peut plus retenir à l’intérieur, ceux des sportifs qui sortent untel son vélo, tel autre ses chaussures de jogging, ceux des vieillards dont les yeux fermés se déplissent et dont les membres se déraidissent sous une chaleur nouvelle…

Tout bougecomme dans l’Evangile : la pierre du tombeau est roulée, Marie-Madeleine court, Pierre (et Jean) galope(nt), et les cœurs battent à se rompre. Les têtes sont bouleversées, les jambes remuent…


Un corps absent fait danser le monde entier !

Car, mes amis, Pâques est à chanter, bien sûr ; et on va s’égosiller à chanter des « Alléluia », des chants de vie et de joie, mais Pâques est aussi et peut-être avant tout à danser !

La Foi passe par le corps. Les catéchumènes -ceux qui se font baptiser adultes- le savent bien, eux, quand ils descendent dans l’eau baptismale pour ressortir, tous neufs, comme Jésus sortant du tombeau.

Pâques est à danser. Si vous connaissez la célèbre cathédrale de Chartres, vous savez qu’il y a en son centre un « labyrinthe ». Vous êtes obligés de passer par lui pour aller vers l’autel.

En réalité, ce n’est pas un labyrinthe où l’on se perd, mais un long, très long chemin sinueux dont les circonvolutions conduisent immanquablement au motif floral du centre, même si parfois on a l’impression de revenir au départ.

Certains attirés par le caractère ésotérique du labyrinthe le suivront précieusement, parcourant les 261,55 m des volutes serrées les unes contre les autres comme s’ils parcouraient les années de leur existence humaine, à la manière d’un mandala nous ramenant à notre centre de gravité intérieur. D’autres y devineront, et ils ont raison, un cheminement de type initiatique, où le futur baptisé passe de la nef à l’autel en étant initié aux mystères du Christ.

En fait, sans le savoir, vous êtes là… sur une piste de danse !
On a retrouvé un vieux texte datant de 1393 qui décrit un usage liturgique étonnant à nos yeux mais assez courant au Moyen Âge :

Le lundi de Pâques, le doyen du chapitre, portant une balle pelote de couleur jaune, empruntait le labyrinthe sur un pas à trois temps, au rythme de la séquence chantée de Pâques, le Victimae paschali laudes entonné par un chœur. Les autres chanoines, se prenant par la main, suivaient en menant une danse autour du labyrinthe. Pendant ce temps, à plusieurs reprises, la balle jaune est transmise et jetée aux choristes qui se la renvoient…

Si nous avons l’impression d’un ‘jeu’, en réalité cette danse représentait symboliquement l’une des vérités essentielles de la foi chrétienne : la résurrection du Christ.
Dans cette sorte de chorégraphie, le Christ représenté par le doyen traverse les enfers (le labyrinthe), affronte Satan, triomphe des puissances de la mort, offrant sa lumière (la balle jaune) à tous ceux qui sont prêts à la recevoir : soit un chemin sûr vers la vie éternelle. Le Christ, à Pâques, devient le premier né d’entre les morts. Tous les hommes et femmes, au fil de l’année, sont invités à le suivre.

Tout cela se faisait dans une atmosphère de joie et de danse, dans les chants et les rires. On est loin de l’atmosphère compassée – confinée – de certaines des célébrations catholiques d’aujourd’hui !

Quand je vous disais que Pâques est à danser ! Comme jadis le roi David devant l’arche d’Alliance ! (ce qu’on n’a pas manqué de lui reprocher)

Si l’on veut un autre exemple, la « Fête des Fous », très populaire au Moyen-Âge, était également une manifestation semi-religieuse, semi-profane, à laquelle les ecclésiastiques participaient activement. Elle est attestée dans beaucoup de villes du Nord de l’Europe dès le 12è siècle et perdure encore aujourd’hui dans certaines villes comme à Ste-Walburge à Liège.  Elle donnait lieu à des processions et des farandoles, parfois un peu largement arrosées, il faut le reconnaître !  En Côte d’Ivoire, il existe même une danse pratiquée dans les églises qu’on appelle « la danse endiablée » !

- Pourquoi faut-il que toute manifestation religieuse soit obligatoirement rigide, froide, sérieuse, immobile ? Bien sûr, on ne va pas danser la polka le Vendredi Saint ! Le climat est différent, il est alors au recueillement. Mais tous les dimanches, on fête la Résurrection du Christ : est-ce que ce message de joie ne s’adresse qu’à l’esprit, et pas au cœur et au corps ?

Nous ne sommes pas que des cerveaux. Nous avons besoin d’exprimer par le corps, les mains, les pieds, les jambes, la bouche, ce qui nous rejoint profondément. Les enfants le comprennent tout naturellement, eux qui ne dissocient pas leur corps de leur tête. Les liturgies avec eux sont actives et participatives, la Foi passe par le corps, les sens !

La quête des œufs de Pâques dans le jardin par les enfants répond à ce même besoin. Belle intuition : pour que Pâques devienne une fête populaire, il faut qu’elle passe par le corps. 


Et quoi de mieux que la danse pour vivre Pâques comme un élan, une dynamique, une joie de tout l’être ?

Il faut faire bouger Pâques ! Le témoignage des croyants d’aujourd’hui comme de ceux d’hier passe par là. Marie-Madeleine, Jeanne, Marie de Jacques, Pierre, Jean et les autres, nous entraînent dans la danse qui soulève et fait rouler les pierres des tombeaux.

Êtes-vous prêts à courir, à vous mettre en mouvement, mes amis ? Une foi immobile est une foi qui meurt, qui est morte.



Vous savez, la foi pascale, la foi en la Résurrection n’est pas une vérité objective qui s’impose de l’extérieur et à laquelle il faudrait se soumettre (comme en islam). C’est un dialogue, que le jeu du labyrinthe met en scène entre le célébrant et l’assemblée, entre les apôtres et Marie Madeleine, comme la balle jaune qui fait la navette entre le doyen et les fidèles autour du labyrinthe pour les y faire entrer.

Car d’après la séquence de Pâques, c’est bien « en chemin » que Marie a vu les signes de la Résurrection, et non au tombeau vide : « Dis-nous Marie-Madeleine, qu’as-tu vu en chemin ? » Indice précieux : c’est le témoignage de ceux qui ont déjà parcouru le chemin de la Foi qui éclairera les futurs baptisés.

Marie-Madeleine parle de sépulture, d’anges, du suaire, des vêtements. 

Et nous, qu’allons-nous répondre à ceux qui nous demanderont, curieux de notre parcours et peut-être inquiets du leur : « Dis-nous, qu’as-tu vu en chemin ? »

Cette interrogation est également celle de nos contemporains, de nos enfants, et nous leur devons une réponse. Cette réponse n’est pas une vérité à apprendre ou imposer, c’est un témoignage qui appelle les autres à s’engager eux aussi sur le chemin pascal, fût-il long et sinueux comme le labyrinthe de Chartres.

Mes sœurs, mes frères dans la Foi,

comme David devant l’Arche, comme les catéchumènes du labyrinthe de Chartres,

comme les enfants sautant de joie en trouvant les œufs colorés dans les jardins,

dansons la joie immense de ce jour sans pareil !

Que tout notre corps exulte !
Que la balle jaune du jeu christique nous entraîne sur son chemin de vie !

 

(lancer de balle dans l’assemblée)




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